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L'homme existe par sa pensée créatrice

J’analyserai dans ce travail, la sculpture en bronze réalisée par l’artiste français Auguste Rodin, Le Penseur.  Elle est exposée en salle au Musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM), ainsi que dans la collection en ligne : Art international ancien et moderne[1].  Cette sculpture dont les dimensions sont 71 x 43 x 56 cm, a été achetée par le musée en 1909, lorsque l’artiste lui-même l’a présentée à Montréal. Il s’agit d’un homme assis, seul sur un rocher, nu, soutenant son menton sur une main refermée. Son dos est fortement plié, regardant vers le bas, absorbé dans sa pensée. La profondeur de sa réflexion est suggérée par l’expression de son visage, par les structures pointues du nez et de la joue, par le froncement de sourcils qui lui donne un air soucieux. Tout son corps tendu et souffrant est engagé. Malgré l’inaction, il émane l’intensité d’un travail réflexif acharné. 

       Rodin est né à la fin de l’empire, au début de la troisième République, dans un régime stable, mais effervescent, une époque durant laquelle tout devient possible avec la technologie qui avance d’une manière impressionnante, la science, l’individualisme et le rationalisme qui engendre l’idée du progrès infini pour l’humanité. Rodin inculque une nouvelle vie dans l’art de la sculpture, en même temps que Monet et Manet transforment la peinture. À cet égard, Gombrich présente Rodin parmi les artistes impressionnistes du 19e siècle qui se sont battu « en faveur du modernisme. »[2] L’auteur affirme que Rodin appartenait à ce courant artistique puisqu’il « dédaignait de donner une impression de fini. Comme eux, il préférait laisser quelque chose à l’imagination du spectateur. Parfois même, il laissait vierge une partie du bloc de marbre pour donner l’impression que la figure était en train de prendre forme… »[3] Compte tenu de cette affirmation, on peut observer que Le Penseur de Rodin contrairement à son apparence physique achevée, est un personnage plein de mystère et d’ambiguïté. Il ne se dévoile pas comme une fleur. Il incite les amateurs d’art à chercher et trouver des réponses, à réfléchir sur la signification de cette œuvre. En outre, dans la perspective de Ruel, il y a une tension dans le travail de Rodin entre un naturalisme manifeste - la figure humaine représentée comme dans la vie - et une charge supplémentaire, puissante, qui s’exprime, venant de l’intérieur de la figure et émergeant de celle-ci.[4]

       Il est évident qu’il existe une inspiration, une influence de la période de la Renaissance qui transparaît dans les créations de Rodin. Selon Alhadeff, le dernier quart du XIXe siècle et plus précisément la décennie 1870-1880 a été marqué, dans les arts figuratifs, par un intérêt marqué pour la sculpture de la Renaissance.[5]   De même, soulignant l’admiration de l’artiste pour Michel-Ange, Sachs mentionne que Rodin n’essayait pas d’imiter Michel-Ange, mais de saisir l’essence de l’œuvre puissante, convaincante et intemporelle du Florentin.[6] À son avis, l’artiste semble avoir découvert que le secret de Michel-Ange se trouvait dans le fait qu’il dépeignait des attitudes humaines naturelles, plutôt que des poses artificielles.[7] Cette affinité avec la Renaissance est mise en scène par le corps musclé et nu qui accentuent la puissance du Penseur. Ce sont les valeurs de l’humanisme qui apparaissent : la force physique et morale, la beauté et la raison.

       Initialement appelée Le Poète et puis Le Penseur, la sculpture a été conçue pour une commande plus vaste intitulée Les portes de l’enfer, à l’entrée d’un musée de Paris. Certains auteurs la considèrent comme un autoportrait en raison de sa ressemblance avec Rodin et de son thème, la lutte créative de l’artiste.[8] Néanmoins, elle peut symboliser tout individu au travail, sur le point de créer et d’utiliser son imagination. L’existence de l’humanité s’affirme par l’acte créateur. D’autre part, ce projet inspiré par Dante montre l’homme encore tiraillé par des croyances en déclin et une société qui cherche de nouvelles valeurs. Rodin crée des personnages qui s’interrogent et qui font face à leur destin. Songeait-il à la proposition célèbre de Descartes « Je pense donc je suis »[9]?  Ou bien, il voulait remettre la subjectivité au centre de l’attention. Le Penseur prend un temps d’arrêt nécessaire pour trouver un nouveau sens à la vie. Dans la même période, à la fin du 19e siècle, Nietzsche annonçait la mort de Dieu.[10] La dimension poétique insufflée par Rodin dans son œuvre s’éloigne du rationalisme réducteur, appartenant au 19e siècle, proclamé par les travaux de Darwin, Marx, Freud dont les analyses rapetissaient l’homme à une entité soumise à des forces hors de son contrôle. C’est du moins la thèse de Phelan.[11] À mon avis, l’œuvre inspire encore aujourd’hui le respect de la dimension unique de l’homme qui pense.

        Comme Hunisak stipule, au cours de sa vie, la réputation de Rodin a atteint les plus hauts sommets. Ses contemporains le considéraient comme un mythe, un créateur titanesque, la réincarnation de Michel-Ange sur le sol français. Cependant, après sa mort, sa renommée et celle de son œuvre ont subi une éclipse. Ce n’est que depuis les années 1950 que son prestige commence à être rétabli.[12] Sur ce point, je suis heureuse et reconnaissante au MBAM d’avoir acquis Le Penseur de Rodin peu après sa création et d’avoir continué de l’exposer, tant en salle qu’en ligne. Ainsi, le musée de Montréal expose à un grand public la création artistique de l’un des sculpteurs les plus réputés. La note explicative de la collection en ligne est bien développée. Elle montre au spectateur toutes les informations appropriées reliées à cet objet d’art, à l’artiste, le médium, la date de sa création et celle à laquelle elle a été mise en fonte. Les enjeux socioculturels de cette œuvre sont décrits sous une forme claire. Toutefois, cette sculpture que l’on voit en ligne ne peut pas être entièrement perçue telle qu’elle est en réalité. Sur la photographie du site web, elle apparaît plus grande. L’image donne l’impression que la taille de la statue approche celle du Moïse de Michel-Ange, tandis que ses dimensions sont beaucoup plus petites. En plus, le fond gris de l’image répand un sentiment de froid, hostile et glacial. Pourtant, bien qu’il s’agît d’une sculpture monochrome, on observe des nuances de vert, bleu, gris et noir, ce qui redonne à la figure sur la photo son aspect tridimensionnel. Les réflexions lumineuses lui attribuent une apparence lustrée. Le visage cependant apparaît encore plus torturé. Par contre, il me semble que la technologie de réalité virtuelle aurait permis de mieux saisir l’ampleur de l’œuvre. Nonobstant, visiter un musée en ligne et admirer des créations artistiques surtout pendant une pandémie est un avantage que les technologies modernes nous offrent aujourd’hui. L’engagement du Musée de diffuser l’art est accompli.

       En conclusion, Le Penseur de Rodin est une sculpture avec des significations profondes sur la vie, la philosophie et la capacité créatrice de l’homme. Elle invite à la réflexion tout en amenant une charge émotive qui est caractéristique du dilemme de l’homme : raison ou passion.  

       

       

       

       

 

 

 

Bibliographie

 

Alhadeff, Albert (1963). « Michelangelo and the Early Rodin », The Art Bulletin, Vol 45, 

       No. 4, 363-367. (Consulté le 8 Mars 2021). 

       https://www.jstor.org/stable/3048120

 

Alhadeff, Albert (1966). “A Self-Portrait in the Gates of Hell”, The Art Bulletin, Vol. 48,

       No. 3/4, 393-395. (Consulté le 8 mars 2021),

       https://www.jstor.org/stable/3048395

 

Descartes, René (2000) Discours de la méthode. GF Flammarion, Paris.

 

Gombrich, H. Ernst (1996). Histoire de l’art, Phaidon, Paris.

 

Hunisak, M. John (1981). “Rodin Rediscovered”. Art Journal, Vol. 41. No. 4, 

       Futurism (Winter, 1981), 370-371+373+375. (Consulté le 8 mars 2021).

       https://www.jstor.org/stable/776450    

 

Nietzsche, Friedrich (1895). Le Gai Savoir, Œuvres Complètes, Arvena, Édition Kindle.

 

 

 

Phelan, Joseph (2001). “Who is Rodin’s Thinker?”, Art Cyclopedia, 1-3. (Consulté le 8 

       mars 2021). http://www.artcyclopedia.com/feature-2001-08.html

 

Rodin, Auguste. Le penseur, https://www.mbam.qc.ca/fr/oeuvres/8227/

         Site du MBAM consulté le 6 mars 2021.

 

Ruel, Malcolm (1987). « Auguste Rodin and the sacredness of the self », The Cambridge

       Journal of Anthropology, Vol. 12, No. 1, 15-19. (Consulté le 8 mars 2021).

       http://www.jstor.org/stable/23817357

 

Sachs, E. Daniel (2012). « Rodin and Michelangelo: A New Perspective », Source: Notes 

      in the History of Art, Vol. 31, no 2, 33-38. (Consulté le 8 mars 2021).  

      http://www.jstor.org/stable/23208935

 

 

 

[1] Auguste Rodin, Le penseur, MBAM.

 

[2] Ernst Gombrich, Histoire de l’art (Paris: Phaidon, 1996), 528.

[3] Idem.

[4] Malcom Ruel, “Auguste Rodin and the sacredness of the self”, The Cambridge Journal of Anthropology, 1987, Vol.12, No 1, 16.

[5] Albert Alhadeff, “Michelangelo and the Early Rodin”, The Art Bulletin, 1963, Vol. 45, No 4, 363.

[6] Daniel Sachs, “Rodin and Michelangelo: a New Perspective”, Notes in the History of Art, Winter 2012, Vol. 31, No. 2, 34.

[7] Idem

[8] Albert Alhadeff, “A Self-Portrait in the Gates of Hell”, The Art Bulletin, 1966, Vol 48, No. 3/4, 394.

[9] René Descartes, Discours de la méthode (Paris : GF Flammarion, 2000), 66.

 

[10] Friedrich Nitzsche, Le gai savoir, (Œuvres Complètes, Arvena, 1895), Édition Kindle, 2813

[11] Joseph Phelan, “Who is the Thinker”, Art Cyclopedia, Août 2001, 3.

[12] John Hunisak “Rodin Rediscovered”, Art Journal, 1981, Vol. 41, No. 4, 370.

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